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ALIVE FRIDGE
Julie Polidoro

Du 3 novembre au 10 décembre 2016
 

 

Il y a chez Julie Polidoro la poésie du monde d’un Alighiero Boetti. Les cartes prennent des formes inouïes, elles étendent leurs ramures larges et colorées. Et, les détails fouillés animent ainsi ses tableaux d’une foule d’anecdotes.  Ici, ce sont les frigos aux portes généreusement ouvertes qui tiennent lieu de mappemonde. Vaste cartographie de nourritures qui se confondent avec des figures mythologiques et célestes, ou bien avec des éléments corporels, comme les ex-voto, le frigo est un authentique cosmos. On y entre toujours par la même porte. Sur ses étagères reposent des collections d’aliments et d’éléments parfois inattendus. Le frigo est une surprise. Son contenu diffère chaque jour.  Il invite au voyage.

 

Pour Polidoro, chacun de ces frigos est un monde, avec sa force magnétique. Paysage bigarré, lieu habité par l’insolite, environnement sous-marin. Les couleurs sont riches. Elles évoquent la matérialité même des objets. Fantasmagorique, les toiles de Julie Polidoro mêlent une rigueur de composition à une grande liberté d’évocation.

 

Le Frigo habité VII est entouré de cactus. On devine des chats et un oiseau dans le compartiment du congélateur. Plus bas, à l’étage de la viande, repose une large poitrine et dans le compartiment inférieur de la porte des créatures condamnées à vivre aux Enfers s’agitent. Le frigo est certes habité par le trouble qui y règne mais il semble que la couleur se soit échappée. Elle remplit la pièce, couvre les murs, comme déversée par le frigo lui-même.

Le Frigo sous-marin évoque quand à lui les mystères du grand bleu. Sirènes, poissons et créatures fantastiques s’y croisent dans un ballet aquatique. Les lignes, d’un bleu plus clair, presque électrique font vibrer avec intensité ces visiteurs étranges sur un fond obscur d’un bleu nuit. Un ange, retenu par le garde-fou de la porte ouvre ses ailes à ce spectacle mouvementé où chacun tourbillonne, s’élance et s’envole dans les eaux voluptueuses où les courants appellent à la danse.

 

N’est-il pas prodigieux ce frigo qui retient le temps, en déforme la course, en ralentit le pas ? Que se passe-t-il quand nous refermons ces portes métalliques ? Des jeux, des farces, des histoires extraordinaires s’amoncèlent auprès des aliments. Un ange passe. Les regards se tournent. Le cerf aux aguets craint-il qu’on ne le découvre ?

 

En ouvrant le frigo Slow Borders, c’est l’écho des chroniques du monde qui résonne. Le chacun pour soi des pays. La triste résurgence des frontières hostiles au passage. Les cris apeurés, les protestations enflammées nous parviennent. Les nations seraient-elles devenues des boites alimentaires, des petits compartiments hermétiques ? Les 197 boîtes, rangées dans le frigo, invoquent l’état du monde contemporain, glacé par la rage, effrayé par l’utopie collective du rassemblement. Pourtant, ces petits compartiments que sont les Etats, sont forcés au partage. Ils ne sont qu’une insignifiante parcelle d’un ensemble incommensurable.

 

Dans cet ensemble de frigos, les sujets s’articulent d’une manière piquante. Julie Polidoro donne au trait et à la couleur un équilibre exquis. Ni l’un, ni l’autre ne prenne l’avantage. Un charivari de mots, de personnages impertinents et d’historiettes effrontées où les pitances imperturbables paraissent au ralenti.

 

La profondeur triste des frigos que nous pensions trop connaître pour les ouvrir et les refermer si souvent, sans envie ni considération, disparaît pleinement au profit d’une fresque tapageuse où le bouillonnement offre à toutes les substances la même place. L’ironie folle des frigos de Julie Polidoro mesure le spectre de notre quotidien. Evocations mythologiques, associations d’idées et compositions fantasques fusionnent avec la réalité. En refermant les portes, il reste au creux de l’oreille le bruit enchanteur du frigo. Et, au milieu des sarabandes et autres danses féeriques, ce chuintement familier nous convie à l’éblouissement permanent.

 

Théo-Mario Coppola

Curateur

Un catalogue sera édité pour l'exposition.

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