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TREMBLEMENTS
Léa Belooussovitch
Matthieu Boucherit
Coraline de Chiara



Du 14 septembre au 21 octobre 2017 
 

 

Depuis quelques années, un lieu commun s’est installé, nous sommes submergés d’images et d’informations.

 

Notre relation à ce flux s’est amplifiée, il nous est intime, quotidien, à la fois présent et absent. Nous consommons les images sans les digérer, sans hiérarchiser ce qu’elles véhiculent. Comment alors les regarder et les rendre à nouveau visibles ? D’autres questions s’immiscent dans cette relation complexe lorsqu’on se concentre sur l’imagerie médiatique. Les voit-on encore vraiment ? Comment saisir leur violence et les rattacher au réel ? Que génèrent-elles sur notre conscience du mouvement et des troubles du monde ? Le flux d’images constant, rapide et violent s’est étrangement drapé d’une opacité et d’une forme d’invisibilité. Il est progressivement devenu un matériau que les artistes s’emploient à traduire et à déplacer.

 

La manipulation plastique et conceptuelle des images d’actualité engendre une tension et un écart critiques. Par le dessin, la peinture, l’installation et la photographie, Coraline de Chiara, Léa Belooussovitch et Matthieu Boucherit transforment les images imprimées ou publiées sur le web. Ils.elles en déplacent la surface visible par la fabrication d’écritures plastiques qui, en agissant comme des filtres,  vont perturber en profondeur ce qui nous est donné à voir. Nos rétines sont ainsi mises à l’épreuve du sens et de la portée des images. La transformation (par le manque ou l’apport de matière et de signe) installe une distance qui, paradoxalement, nous engage à penser et à analyser la matière image. La manipulation renforce ainsi sa visibilité. 

Matthieu Boucherit se cogne à leurs violences, celles du passé comme celles du présent. Avec des pinceaux ou des crayons, il développe une œuvre où la mémoire et la prise de conscience sont constamment sollicitées. Les peintures participent d’un dispositif à l’intérieur duquel le regardeur est mis à contribution. Par la manipulation des œuvres, il est invité à repenser l’accrochage en créant de nouveaux dialogues entre elles et avec l’espace. L’artiste engage alors une relation physique entre le regardeur-acteur et le sujet, des corps déplacés, des corps-images « que l'on met en scène, que l'on déplace d'endroit en endroit lors de l'exil, du délogement de leurs camps, que l'on chorégraphie. ».

 

Le feutre blanc, matériau isolant et protecteur, est le support des dessins de Léa Belooussovitch. Elle travaille à partir d’images témoignant d’événements extrêmement violents, des victimes de combats ou d’attentats à qui elle veut rendre une forme d’anonymat et une part de dignité. Munie de crayons de couleur, elle dessine les images qui vont peu à peu se perdre dans la matière duveteuse. Les images sont floues, le sujet est abstrait. Elles réclament un effort pour établir une mise au point qui s’avère impossible. La lumière et la couleur prédominent au creux des compositions où la violence se devine et s’imagine.

 

Les peintures sur bois et les cires sur papier de Coraline de Chiara accordent une temporalité étirée entre l’histoire et le présent. L’artiste opte pour la déconstruction du format standard, au rectangle elle répond par la fragmentation des images qu’elle va recouvrir partiellement. Par là, elle décide de ne pas montrer littéralement la guerre et ses conséquences, mais plutôt de la suggérer à travers la création d’images pérennes et intemporelles. 

Chacun à leur manière, les artistes retiennent les images dans le temps en leur conférant une dimension physique, sensible et critique. Ils.elles injectent un tremblement aux images. « La pensée du tremblement caractérise l’approche de cet inextricable du monde. Répétons que le tremblement n’est pas la crainte, la peur ni l’hésitation, n’est pas l’incertitude érigée en fantasme, mais la vocation délibérée de renoncer aux longues vues systématiques, au développement équationnel, au principe linéaire, ainsi que le diraient peut-être les physiciens des sciences du chaos. Le tremblement nous plonge ainsi dans l’intuition des profondeurs […] qui rend possibles toutes sortes de tacts et de contacts, et qui nous permet de dériver, de dévirer, dans cet inextricable et ce composite du monde. » Leurs écritures plastiques invitent à une résistance face à la lente disparition des images (ce qu’elles montrent, ce qu’elles taisent ou crient), face à une relation nourrie d’une banalisation et d’une indifférence dont les répercussions sur les pensées critiques sont profondément inquiétantes.

Julie Crenn

Critique d'art

Commissaire d'exposition

1 Matthieu Boucherit, juillet 2017.

2 GLISSANT, Édouard. « Images de l’être, lieux de l’imaginaire », in Che voi ?, janvier 2006, n°25, p.256.

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