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BAGARRE, DAUPHINS ET PURGATOIRE

Thibaut Huchard


Exposition du 30 janvier au 1er mars 2025 

Vernissage jeudi 30 janvier 2025

 

Dossier de presse

 

C’est une œuvre immense, foisonnante, babylonienne. Les toiles de Thibaut Huchard contiennent un monde. Le sien. Celui qu’il s’est créé. Elles témoignent, par les références multiples aux maîtres anciens, d’une grande culture visuelle mais aussi, par le regard porté sur les temps contemporains, d’une réflexion personnelle sur l’actualité sociale et politique. C’est avec délice qu’on plonge dans ces tableaux au gigantisme démesuré. Le souci du détail y est fiévreux, la ligne extrêmement précise. Diplômé de l’École Émile-Cohl de dessin de Lyon, Thibaut Huchard développe depuis plus de dix ans un goût prononcé pour la narration et une forme d’humour avec lequel il observe notre société.

À partir de scènes isolées pensées dès 2014, l’artiste recompose inlassablement, au moyen de dessins préparatoires sur papier calque, de grandes fresques traversées par les mêmes objets de questionnements. Cela donne une œuvre titanesque tant il y a d’éléments qui accrochent le regard, une multitude de personnages qui y fourmille. 

Dans Bataillon centrale, une huile sur bois de 2022, on découvrait, déjà, une masse de corps brandissant une arme pour un assaut imminent. La révolte qui gronde, l’âme unique, figée mais néanmoins mouvante, constituent un leitmotiv. Le plasticien dresse le portrait d’une époque, trouble et terriblement complexe, illustrant les violences les plus ordinaires mais aussi les plus assassines. Pour La chasse (2022), un cheval est égorgé à mains nues par un homme, un cerf mis à sang par une meute enragée de chiens. Dans les paysages urbains, on s’étonne de retrouver, aux côtés de preux chevaliers, des gilets jaunes, mais aussi dans le ciel, des drônes de surveillance et une présence, en filigrane, d’Elon Musk.

Il faut y voir, toujours, plusieurs interprétations possibles. C’est que l’artiste aime complexifier la lecture des symboles. Il se situe, en cela, entre réel et fiction, convoquant avec un plaisir non dissimulé les théories complotistes qui abreuvent à la manière des croyances médiévales d’antan. Et endosse la figure du mythogramme d’André Leroi-Gourhan en se voulant le médiateur tout désigné pour narrer des histoires.

Aux frères Van Eyck (L’ Agneau mystique, 1432), il reprend le format du retable, à Fra Angelico (L’ Annonciation, 1426), la prédelle pensée comme prolongement narratif des parties supérieures. Techniquement, Thibaut Huchard se situe entre tradition et contemporanéité en pratiquant la peinture à la tempéra et en employant la gravure au laser sur bois après avoir travaillé numériquement ses motifs. Iconographiquement, il compose un bestiaire de créatures hideuses et drôlatiques comme dans Le son qui met la pression (2022) qui rappellent les monstres du Jardin des délices (vers 1505) de Jérôme Bosch.

Il y a, aussi, un style naïf présent par la stylisation des arbres et la perspective joliment maladroite des édifications architecturales héritée des primitifs italiens. La superposition des visages auréolés d’or convoque le souvenir du Couronnement de la Vierge (1425-1450) de Fra Angelico. Parmi les autres sources d’inspiration : les scènes de bataille de Paolo Uccello, les créatures animales du Livre de chasse de Gaston Phébus, la préciosité du Livre d’Heures du Duc de Berry (1411-1440) des frères Limbourg, le clair-obscur de Georges de La Tour et les figures hiératiques de Leon Golub.

Par cette volonté de s’inscrire dans la lignée des grands maîtres qui l’ont précédé, Thibaut Huchard semble vouloir opérer une forme de rupture avec la production de ses pairs, davantage portée vers les scènes de la vie quotidienne et le genre du portrait. Mais comment rester insensible face aux turpitudes contemporaines ? Comment ne pas vouloir illustrer les dérives des régimes autocratiques et la crise écologique ? C’est aussi une œuvre protéiforme qui se renouvelle sans cesse et, qui, au-delà de porter en elle une lecture du monde, mène également une réflexion sur le médium, sur la peinture elle-même.

Chirine Hammouch

Critique d'art

Texte écrit à l'occasion de l'exposition Bagarre, dauphins et purgatoire.

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