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LES RACINES DU TEMPS

Sylvain Polony


Exposition du 12 décembre au 18 janvier 2025 

Vernissage jeudi 12 décembre 2024

​Dossier de presse

 

 

On connaît Sylvain Polony, peintre, pour ses compositions abstraites sur PVC, au white spirit et au spray. De ces travaux réalisés sans crayon ni pinceau, le panneau de PVC utilisé par l’artiste comme support posé au sol, travaillé à plat par passages successifs de matière déversée ou pulsée à la bombe, on retiendra les troublants jeux de couleurs, de profondeur et de réseaux de formes imbriquées qui font leur signature– tout un monde mystérieux et inspirant, univers à explorer du regard où la forme s’expose sans rien dissimuler du processus qui la fait advenir : protocole intangible, geste méthodique et répétition gestuelle, reprises, recouvrements calculés ou au contraire plus aléatoires… Ainsi pratiquée, la peinture vaut tout à la fois comme quête sensible, sur un mode expressionniste, et comme hommage aux pratiques modernes, non conventionnelles, de création.

 

Or voici que les travaux picturaux que présente ici Sylvain Polony rebattent singulièrement les cartes. Changement notoire ! On y retrouve, certes, le fond de couleurs abstrait qui d’ordinaire les distingue. Y apparaissent cependant, fondus en celui-ci, formes dessinées et tracés, cette fois, figuratifs. Ces derniers sont noirs, plutôt épais. Ils dessinent sur le PVC, le plus souvent de dominante sombre, les cernes de corps humains nus, féminins ou masculins, ou de branches d'arbre. Humanité plus nature, donc, l’un à l’autre appareillés. L’artiste ne « remplit » pas, il dessine la seule ligne des branches et de la silhouette des corps. Ces corps humains et ces branches d’arbre figurés, fréquemment, s’enchevêtrent en un même écheveau de lignes. L’effet produit est celui d’une fusion, d’une superposition, d’une continuité, qui laissent à penser. L’humain, son environnement naturel : serait-ce là le même monde, un même écosystème ? Un ensemble unitaire, une complémentarité de destin ? À ces questions, un écologue répondra par la positive. L’humain sans environnement est tout bonnement inconcevable, l’humain est la nature aussi, à l’instar de la végétation, sur un mode qui connote l’égalité de statut biologique, et qui ignore toute hiérarchie. Mêler les deux, les unir, fédérer leur substance comme le fait Sylvain Polony : l’équivalent d’un acquiescement symbolique à la thèse symbiotique.

 

Revenons, en y appuyant nos regards, sur les figures qui ornent ces récents travaux de l’artiste, celles des corps humains en particulier– une nouveauté, assurément : Sylvain Polony artiste, jusqu’à nouvel ordre, s’en est tenu à l’abstraction, sans dévier ni discontinuer, et ce depuis ses débuts il y a un quart de siècle, au tournant des années 2000. Ses nouveaux tracés, à l’envi, sollicitent notre mémoire visuelle. Leurs courbes, celles, souvent lascives des corps, et erratiques, des branches, évoquent le dessin baroque. La représentation même des corps humains, nus, alanguis et sans visage le plus souvent, hors psychologie, n’est pas sans rappeler le mode figuratif propre à la Renaissance ou au maniérisme. Bond dans le temps, entre abstraction, expression moderne par excellence, et figuration à la mode des maîtres du Cinquecento, ces deux formes d’expression se révélant pour l’occasion jumelées, unies, comme réconciliées sans que l’on marche ici « contre-nature ». De quoi démultiplier l’univers de l’artiste et par extension le nôtre, spectateurs, conviés que nous sommes à un voyage dans le temps du style, sans exclusion, en agglomérant dans notre rétine des esthétiques que l’histoire de l’art dissocie.

Comment expliquer cette évolution ? Sylvain Polony, voici quelques années, a entrepris une psychanalyse, des souvenirs d’adolescence, bientôt, remontent, dont celui-ci, son amour premier du dessin, qu’il pratiquait sans retenue dans sa jeunesse. Le dessin, précisons-le, sur nature, celui qu’on exécute sans repentir. Un voyage à Francfort, un peu plus tard, la découverte d’un carton de Guido Reni, maître de la Renaissance, et l’artiste bascule, replongeant dans ses premières amours stylistiques. Retour au dessin, de façon obsessionnelle– au dessin direct, avec modèle. Premier temps, Sylvain Polony croque des centaines de personnes, des voisins de son atelier, beaucoup, à Saint-Ouen. Puis les figures humaines qu’il dessine compulsivement se déplacent et colonisent bientôt ses toiles, selon un mode de convergence, et de cooptation : l’ancien style accueille le nouveau mais c’est entendu, l’un ne rejettera pas l’autre. Comme un accomplissement, le retour de la jeunesse dans la maturité et l’ouverture de la pratique, sans plus de contrainte, en s’allégeant du dispositif méthodique originel pour lui en substituer un autre plus accueillant, généreux, démultiplicateur de sensibilité, de mémoire, de recherche de soi personnelle.

 

Il faut regarder les nouveaux travaux de Sylvain Polony, en l’occurrence, comme des formules fédérant à la fois la liberté de création, le goût conjugué de la forme classique et de la forme moderne, un retour de l’artiste à soi au registre du parcours de vie, une expression de vérité, enfin, qui fait de cette peinture-là l’envers d’un simple produit de circonstance, bien plus qu’une peinture simplement à la mode. L’hybridation qu’incarnent ces nouveaux travaux de l’artiste, d’un même tenant, nous parle de la psyché et de ses mouvements d’aller et retour dans le temps, du goût intime et de ses variations, et plus encore peut-être de l’aventure même que l’art sait mettre au corps de ceux qui l’élisent comme leur carburant vital.

Paul Ardenne

Historien de l'art

Texte écrit à l'occasion de l'exposition Les Racines du temps.

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