OBSERVER AOÛT
Marina Vandra & Yoan Béliard
Exposition du 17 avril au 17 mai 2025
Vernissage jeudi 17 avril 2025
Il n'y a que l'éphémère qui dure
Eugène Ionesco
L’une peint alors que l’autre sculpte. Mais les deux composent, tels des archéologues du temps présent qui chercheraient à collecter des fragments d’instantané, futurs vestiges comme à l’avance prélevés de notre société d’aujourd’hui. Sans doute aussi ont-ils une même fascination et belle curiosité pour l’architecture, ou devrait-on dire l’habitat et les lieux de vie, qu’ils auscultent chacun à leur manière et dans les moindres détails, y puisant à travers lectures et voyages, la matière constitutive de leur œuvre.
Le travail de Marina Vandra semble glisser sur la toile. Ici des couleurs denses, presque sourdes qui nous permettent, dit-elle, de rentrer dans la peinture plutôt que ce ne soit celle-ci qui vienne trop brutalement à nous. Des couleurs de fin du jour et d’un temps suspendu, celui de l’été qui s’étire et s’étend à l’infini. Les motifs, eux, sont aussi nets dans leur contour que soigneusement assemblés. Le cadre ainsi est posé d’un intérieur dont le plan peut nous évoquer le Japon, et qu’elle décline telle une partition, en quelques variations au préalable dessinées sans en avoir été semble-t-il pour autant réellement décidées. L’artiste se nourrit d’images glanées dans livres et revues dont elle extrait quantité de détails avant de les reproduire en d’étonnantes compositions, esquisses reprises jusqu’à l’épuisement dans l’intimité de ses carnets. Il est bien sûr pour elle question de temps long, de celui de la réflexion qui lui permet une certaine distance à l’œuvre, jusqu’à celui de la mise en peinture pour laquelle elle déploie un savant système de pochoirs, gage d’une très subtile restitution des formes alors précisément découpées. Une règle du jeu, ou bien une règle de l’art, qui lui impose une parfaite maîtrise dans la pensée comme dans le geste pour accéder à la peinture. Ou bien s’agit-il malgré les traces du pinceau d’un dessin pour le moins augmenté ?
Yoan Béliard, lui, s’attache au relief. Celui des éléments qu’il rassemble et juxtapose, formes obtenues par simple empreinte ou moulage, tels les reliquats d’une réalité matérielle totalement fictive qu’il aime à restituer avec poésie en d’étonnantes sculptures et bas-reliefs. Même besoin également de passer par l’esquisse et le dessin avant se lancer dans une maquette – il a été formé à Boulle prévient-il – et de se plonger à cet instant dans la matière même de l’œuvre. L’étape est cruciale, qui verra l’arrangement bouger, les volumes encore se déplacer, combinatoire sinon aléatoire pour le moins instinctive de l’ordre d’un monde dans lequel les époques se superposent et s’entrechoquent. Ainsi sculpte-t-il, pièce à pièce, dans la tendresse du plâtre qui s’est imposé à lui depuis quelques années, de curieux assemblages, concrétions contemporaines d’un passé résolument composé et recomposé, autant par l’esprit que par la main. A la douceur des couleurs résolument enfouies dans la masse, peut surgir par endroit l’encre sombre et plus incisive d’images d’archives imprimées en surface, comme pour venir soutenir le propos et souligner la force narrative de l’œuvre. Il a choisi cette fois de s’intéresser à l’architecture balnéaire moderniste, celle de la Grande Motte, de Royan, et de tous les grands ensembles qui ont fleuri à l’après-guerre sur la côte atlantique, en en décryptant avec une certaine volupté un vocabulaire ornemental dont émane une étrange poésie.
Incroyable de penser que Marina Vandra et Yoan Béliard ne s’étaient auparavant jamais croisés, tant ils ont en commun ce même cheminement dans le travail, cette obsession de la composition et du détail jusque dans son exécution, sans parler de leur passion partagée pour l’architecture, qu’elle soit vernaculaire pour la première ou brutaliste pour le second. Alors, réjouissons-nous d’autant que cette douce lumière de la fin de l’été qui éclaire leur première exposition en duo, nous les donnent à découvrir ensemble et à la fois redécouvrir sans doute chacun différemment. Un beau dialogue s’installe à travers cette observation de la fuite du temps, art de la litote s’il en est qui nous donne à voir les images érodées d’un monde qui lentement se désagrège sous nos yeux.
Jean-Marc Dimanche
Texte écrit à l'occasion de l'exposition Observer août
Jean-Marc Dimanche est commissaire d'exposition indépendant